Transcription de la balade sonore : Suzanne Le Pelletier de Saint-Fargeau
Une autre châtelaine de Verneuil mérite qu’on lui prête attention : Suzanne Louise Le Peletier de Saint Fargeau. Ce nom vous est peut-être étranger, il s’est perdu dans la masse des Chateaubriand, Malesherbes, Tocqueville, Sénozan… pourtant, on ne saurait parler de l’histoire de Verneuil sans mentionner celle qu’on avait baptisé « Mademoiselle Nation ».
C’est à 11 ans que Suzanne devient célèbre, bien que les circonstances de cette soudaine célébrité ne soit pas objet de réjouissances. Nous sommes en 1793, la France est encore déchirée entre deux camps : les révolutionnaires, et les royalistes. Le père de Suzanne, Louis Michel Le Peletier de Saint Fargeau siège à la Convention, comme député de l’Yonne. Il participe à tous les votes dont dépend le sort de Louis XVI. Lors du scrutin définitif, il se prononce en faveur de l’exécution du souverain ; il est hostile à toute proposition de monarchie constitutionnelle. Il est décidé que Louis XVI passera sous la guillotine le 21 janvier 1793. Quelques heures après le procès, le père de Suzanne dîne dans un restaurant du Palais Royal. Voilà alors qu’arrive Nicolas de Pâris, un fervent royaliste. Le sabre à la main, il est à la recherche du Duc d’Orléans, il veut lui faire payer d’avoir condamné à mort son cousin le roi. Hélas, c’est Louis-Michel qu’il trouve et qu’il transperce.
À onze ans, Suzanne, qui avait déjà perdu sa mère en 1783, se retrouve orpheline. La Convention l’adopte, au nom du peuple Français, et, dans un élan d’enthousiasme, la baptise « Mademoiselle Nation », fille d’un martyr.
On confie sa garde à son oncle, Félix, qui convoite autant sa pupille que l’immense fortune dont elle hérite.
5 ans après, Suzanne, qui a quinze ans, s’éprend pour un jeune hollandais qu’elle souhaite épouser. Son oncle, cupide, et probablement amoureux de sa nièce, s’y oppose fermement, mais la Convention se dit favorable au mariage. Le 29 mars 1798, Suzanne épouse donc Jean François de Witt lors de noces somptueuses. À Paris, Suzanne mène la grande vie, Mme de Staël, écrivaine, dira d’elle qu’elle a immense fortune avec laquelle elle est disposée à s’amuser : elle danse, elle rit, court tout le jour, passe la nuit dans des fêtes et trouve à peine le temps du sommeil.
Le mariage qu’elle avait si ardemment souhaité se révèle cependant être un échec. Son mari qui connait une brillante carrière dans l’armée est trop souvent retenu éloigné, et la mort en bas âge de leurs deux enfants met un terme définitif à cet amour qui n’aura duré que quatre ans. En 1802, Suzanne le Peletier et Jean François de Witt divorcent.
Deux ans plus tard, c’est de son cousin que s’éprend Suzanne. De dix ans son aîné, il repousse cependant ses avances. Il est royaliste. Elle est fille de régicide. Comment pourrait-il unir sa vie à la sienne ? Il faudra deux ans à Suzanne pour parvenir à faire fléchir le cœur de cet homme qu’elle admire tant, et finalement, en 1806, leur mariage est célébré à Paris, faisant de Suzanne la Comtesse de Mortefontaine.
Ensemble, ils ont deux filles, mais le bonheur de Suzanne n’est, cette fois encore, que de courte durée. En 1814, alors qu’il tente de dresser un cheval impétueux, son mari est désarçonné. Il meurt quatre jours plus tard, suite à ses blessures.
C’est trois ans après ces événements qu’elle s’installe au château de Verneuil qu’elle vient d’acheter aux Tocqueville.
Encore accablée de la mort de son époux, elle s’attache très vite à son nouveau domaine qu’elle transforme en demeure familiale où elle élève ses filles. Elle entreprend d’importants travaux de rénovation à l’intérieur du château où elle passera le reste de sa vie avant de le léguer à ses descendants qui s’y succéderont sur trois générations.
À Verneuil, elle a laissé le souvenir d’une châtelaine « bonne autant que célestement belle » pour reprendre les mots du poète Frénilly.